29 octobre, 2006

...La liberté dans la soumission






Partie 3

De l’autre côté du miroir nous retrouvons la personne soumise.Cette dernière ne verbalise que rarement son désir, sa poursuite de liberté dionysiaque, mais elle y pense très fort. En effet, la liberté Maso ne se réalise que dans la servitude, elle n’est donc pas censée être revendiquée explicitement. Pour la personne soumise la liberté coïncide avec l’obéissance, c’est-à-dire que la déresponsabilisation individuelle, l’hétéronomie de la volonté, permettent un accroissement du bien-être ressenti phénoménologiquement comme un accroissement de liberté. Expliquons ce paradoxe apparent
Si la personne dominante cherche à instrumentaliser autrui pour l’utiliser comme un objet, le sujet soumis quant à lui cherche à être instrumentalisé et à servir d’objet à autrui. Certains sujets humains ne s’accomplissent qu’en étant soumis et dominés, en devenant des objets. A vrai dire, la plupart des femmes et des hommes ne se réalisent qu’en se satellisant autour d’une autorité transcendante, un phallus symbolique ou réel dont ils reçoivent la loi passivement et qui les possède. L’épanouissement personnel prend le plus souvent la voie de l’aliénation et de l’esclavage. Il y a en l’humain des pulsions qui le poussent à se mettre spontanément au service d’un maître. Les exemples historiques ne manquent pas : le succès des religions monothéistes, des sectes de toutes sortes, l’enthousiasme des foules à suivre aveuglément un leader charismatique fascisant, les crises d’hystérie des jeunes filles aux concerts des Beatles ou des boys bands témoignent de cette disposition masochiste spontanée à l’obéissance, de ce besoin de s’abandonner à une puissance phallique dominante. Le besoin d’être possédé par l’Autre, donc dépossédé de soi-même, est profondément enraciné en l’humain : « Posséder est bien le mot, comme les riches et les sorciers possèdent. Ravies d’être ensorcelées, les foules adorent celui qui les subjugue.
Comment comprendre ce désir d’hétéronomie passive de la volonté comme expression d’un désir de liberté ? Diverses motivations peuvent pousser la personne soumise à se chercher un maître. Ces motivations se laissent traverser par un dénominateur commun : l’oubli et la dépossession de soi-même comme liberté suprême. La liberté comme Devenir-Autre. Tout comme le sujet dominant, le sujet soumis ne se sent libre que dans l’aliénation, la différence résidant dans son désir d’être aliéné, instrumentalisé, dominé et non pas aliénant, instrumentalisant, dominant. La psychologie sociale et des foules (Freud)a montré que c’est au moment où l’individu s’en remet à une autorité pour l’organisation de son existence qu’il se sent le plus libre, étant libéré de lui-même. En effet, le sujet est un poids, une charge pour lui-même, l’existence individuelle est une contrainte de tous les instants, une somme d’angoisses, de responsabilités et de frustrations quotidiennes. La liberté Maso consiste à quitter son statut de sujet pour un statut d’objet et d’instrument aux mains de l’Autre, le but ultime de la manœuvre étant de se quitter soi-même, de se déposséder de soi-même en se laissant posséder et manipuler par l’Autre. Le sujet se décharge de lui-même sur l’Autre et gagne ainsi en bien-être et en confort existentiel.
La liberté Maso c’est donc se libérer de soi-même, de son existence individuelle ainsi que des choix, devoirs et responsabilités qu’elle implique pour s’en remettre complètement à une entité dominante qui s’en occupera à ma place. C’est en quelque sorte la liberté de l’enfant d’être irresponsable, immature et de se reposer sur ses parents. A l’opposé, dans une perspective , la liberté est une responsabilité individuelle, autonomie du libre-arbitre. Mais elle est ressentie comme fatigante et angoissante par la plupart des sujets humains car elle les renvoie à leur solitude existentielle et au travail incessant que suppose une existence d’individu. Tout le monde n’arrive pas à être un individu, c’est-à-dire à être seul. Les humains tendent à fuir comme la peste tout ce qui peut leur rappeler cette liberté solitaire, comme ils se fuient eux-mêmes dans le conformisme et l’aliénation sociale. Cette aliénation sociale s’apparente le plus souvent à une ivresse dionysiaque qui leur permet de s’oublier eux-mêmes, de se perdre dans autrui, de se laisser remplir par lui, de rompre avec le principe d’individuation en se laissant posséder par quelqu’un ou par un groupe, une foule, une masse où s’abolit le poids de leur ego. C’est le principe même de l’orgie, le devenir-Autre, la transgression de l’individuation. Ainsi, pour le sujet M « Je veux être libre » signifie « Je veux me libérer de moi-même, je ne veux plus être moi, je ne veux plus m’appartenir, je veux t’appartenir. Pour me libérer de moi-même, devenir autre, j’ai besoin d’être dépossédé de moi-même par toi, j’ai besoin que tu me possèdes, que tu m’aliènes, m’ensorcelles, j’ai besoin d’être ton objet, ton instrument. Je me soumets donc à toi, je me remets entre tes mains, j’abdique volontairement ma volonté pour m’abandonner à la tienne ». Il y a bien une dimension mystique dans cette liberté Maso. L’Autre prend toute la place en moi comme le mystique accueille Dieu en lui et se soumet à sa volonté. Le cheminement des mystiques est du bondage SM à l’état pur. Le mystique passif passe son temps à prier son Dieu de l’attacher avec des liens (spirituels !) et de le pénétrer profondément. Et la grâce, l’extase est précisément ce moment où Dieu entre dans le corps du mystique et le possède comme un démon.

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